Le Dr. Denis Mukwege, gynécologue congolais, lauréat du prix Nobel de la paix en 2018 pour son combat contre les violences sexuelles faites aux femmes dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), a publié le 22 février une déclaration dans laquelle il exprime son indignation face au récent accord signé entre l’Union européenne (UE) et le Rwanda sur les minéraux de conflit.
Selon lui, cet accord, qui vise à favoriser le développement de chaînes de valeur « durables » et « résilientes » pour les matières premières, aussi appelées minerais des conflits ou de sang, est un acte de « cynisme » et de « double standard » de la part de l’exécutif européen, qui « mine la crédibilité des institutions internationales ».
Dans cette déclaration consultée par La Nouvelle RDC, le Dr. Mukwege rappelle que le conflit qui perdure à l’est de la RDC depuis presque 30 ans, qui est le plus meurtrier depuis la 2e guerre mondiale, est principalement économique, et que le lien entre l’exploitation et le commerce illégal des minerais et la violence et les violations des droits humains est largement documenté, notamment par les Nations Unies.
Il dénonce également l’implication du Rwanda dans la déstabilisation de la RDC, le pillage de ses ressources naturelles et minières et la commission des crimes les plus graves, notamment le recours aux violences sexuelles comme méthode de guerre et comme stratégie de terreur.
Un partenariat stratégique en contradiction avec les principes et les valeurs de l’UE
Le Dr. Mukwege souligne que la politique de la Commission européenne et le renforcement de ce partenariat stratégique avec le régime dictatorial de Kigali apparaissent en totale contradiction avec le principe de cohérence et les valeurs fondamentales de l’UE, notamment la promotion de la paix et des droits humains, qui devraient être, conformément aux Traités européens, des objectifs fondamentaux dans ses relations extérieures.
Il regrette que l’UE se félicite du fait que le Rwanda dispose d’une raffinerie d’or et d’une raffinerie de tantale, alors que ces minerais proviennent en grande partie du trafic illicite en provenance de la RDC.
Il réitère son appel lancé à Strasbourg en 2014 à l’occasion de la remise du Prix Sakharov du Parlement européen pour la liberté de pensée de « veiller à assurer davantage de cohérence entre les politiques économiques et le respect des droits de l’homme, et à placer la dignité humaine au centre des préoccupations économiques et financières ».
Il exhorte les institutions et les pays européens à rendre effectif et contraignant le règlement de l’UE sur le devoir de diligence pour les chaines d’approvisionnement des minerais, entré en vigueur en 2021 et pourtant largement détourné par des filières opaques d’approvisionnement transfrontalier entre la RDC et le Rwanda.
Un appel aux citoyens européens pour changer le cap
Le Dr. Mukwege conclut sa déclaration en affirmant que, à défaut, la transition énergétique dite verte et propre restera rouge du sang des femmes et des enfants congolais et salie par les activités criminelles des groupes armés.
Il aspire à ce que les citoyens européens épris de paix et de justice sociale entendent cet appel et changent le cap lors des prochaines élections en juin 2024.
Il espère que l’UE saura se montrer à la hauteur de ses engagements et de ses responsabilités en matière de protection des droits humains et de prévention des conflits.
Il invite les médias et la société civile à se mobiliser pour dénoncer cet accord et ses conséquences dramatiques pour les populations congolaises.